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Yousif Attia, responsable national – Recensement des oiseaux de Noël (RON)

Depuis l’archipel de Haida Gwaii (îles de la Reine-Charlotte), au large de la côte du Pacifique nord au Canada, on peut voir clairement l’Alaska les jours ensoleillés. Cette nature sauvage, isolée depuis la dernière période glaciaire, est caractérisée par d’imposantes forêts pluviales tempérées, des côtes accidentées et d’immenses bancs de sable. Complètement entouré par certaines des mers les plus redoutables, bien que productives, l’archipel abrite également des espèces d’oiseaux et de faune uniques qui se sont adaptées pour prospérer dans ces environnements. La riche histoire et la culture indigènes du peuple haïda sont tout aussi fascinantes. Les Haidas sont réputés pour leurs œuvres d’art, leurs totems, leurs sculptures, la construction de canots et leurs voyages.

Old Masset, Haida Gwaii
Au village d’Old Masset. Photo: Yousif Attia
Yousif se tient à côté d'un épicéa massif, dont seule la base du tronc est visible.
Yousif sur la piste Golden Spruce. Photo: Yousif Attia

En 1982, pendant une année sabbatique passée à Haida Gwaii, Peter Hamel, un ornithologue amateur de longue date originaire de Hamilton, en Ontario, y a instauré le Recensement des oiseaux de Noël (RON). Il a reconnu l’importance de documenter la vie aviaire de la région. Il est retourné vivre là-bas en 1994 et, avec le soutien de sa femme et partenaire ornithologue Margo Hearne, une naturaliste et écrivaine qui vivait dans le village de Masset depuis 1974, ils ont tous deux commencé à développer régulièrement le programme et ont finalement mis en place un total de six cercles de recensement sur Haida Gwaii. Peter et Margo ont soutenu de nombreuses initiatives de conservation et ont notamment contribué à la création et à la protection du refuge faunique Delkatla et supervisé la construction d’un centre de la nature de classe mondiale. Ils ont ensuite été rejoints par Martin Williams, un observateur d’oiseaux chevronné d’origine haïda et nisga’a, et tandis que d’autres participants se succédaient, ces trois-là ont tenu le proverbial «fort» pendant plus de 42 années consécutives! Leur degré de dévouement et d’engagement est une source d’inspiration, surtout lorsqu’on connaît la logistique qu’il faut déployer pour réaliser certains de ces recensements.

Peter et Margo debout sur le sentier enneigé lors d'un décompte de Port Clements.
Peter et Margo dans le cercle de recensement de Port Clements du RON. Photo: Margo Hearne

Après le décès prématuré de Peter en février 2024, j’ai proposé à Margo que je prenne l’avion de Vancouver pour l’aider à effectuer quelques recensements à Haida Gwaii et à compiler les données. J’ai été accueilli avec gratitude et je n’étais que trop heureux de contribuer à une partie intégrante du puzzle du RON et d’apprendre à mieux connaître les gens et les oiseaux qui vivent dans cet endroit hors du commun.

Un pygargue à tête blanche plane dans un ciel bleu clair.
Un Pygargue à tête blanche. Photo: Yousif Attia
Plusieurs personnes observent les oiseaux près d'un plan d'eau.
Des employés et des membres du Conseil de la Nation Haida Nation et de la société du refuge faunique Delkatla explorent l’estuaire à Masset. Photo: Yousif Attia

Le cercle de recensement de Port Clements

J’ai participé à trois recensements pendant mon séjour, soit ceux de Port Clements, de Rose Spit et de Tlell. Le cercle de recensement de Port Clements est situé sur les rives de la baie Masset et englobe le village de Port Clements et l’ancienne communauté forestière de Juskatla, aujourd’hui une ville fantôme. Ginny Hudson et Eli Morigeau, du Conseil de la Nation Haïda, nous ont accompagnés pendant la majeure partie de la journée. L’estuaire abrité de la baie de Yakoun a été particulièrement productif; nous y avons trouvé un grand nombre d’oiseaux aquatiques, dont un surprenant Fuligule à tête rouge et un Cygne siffleur qui se nourrissaient à distance des Cygnes trompettes, plus nombreux et dont la présence était plus attendue. Nous avons également exploré le sentier de l’Épinette dorée, une section de forêt qui menait autrefois à Kiid K’iiyas (l’«arbre ancien»). Bien que le Kiid K’iiyas original n’existe plus, l’histoire de cette épinette de Sitka unique en son genre vaut la peine d’être découverte (en anglais). Dans cette partie de notre expédition, nous avons rencontré de grandes volées de Becs-croisés des sapins, des spécialistes de l’exploitation des cônes d’arbres, et un de mes oiseaux préférés! Écoutez l’enregistrement audio des cris d’une volée de Becs-croisés des sapins réalisé dans le cercle de recensement de Port Clements:

L’estuaire de la rivière Yakoun. Photo: Yousif Attia

Le cercle de recensement de Rose Spit

À l’extrême nord-est de l’archipel se trouve la pointe Rose (aussi appelée Rose Spit), où se rencontrent le détroit d’Hécate et l’entrée Dixon. Nous avons rencontré l’équipe de la Nation Haïda à Tow Hill à l’aube. Margo et moi sommes montés dans le camion avec Thor, l’extraordinaire sauveteur de plage. La hauteur des marées doit être parfaite pour permettre aux véhicules de passer facilement sur la plage, et il y a peu de temps pour le faire. Heureusement, Thor connaît cette plage mieux que quiconque, et nous avons écouté des histoires de mésaventures passées où des voyageurs imprudents avaient été piégés par les marées et, dans certains cas, avaient même perdu leur véhicule. Ce jour-là, le temps semblait coopératif, avec des vents (relativement) faibles, jusqu’à ce que nous arrivions à la pointe, où nous avons constaté à quel point la zone est exposée! Il y avait du vent et un froid glacials, j’ai mis toutes les couches que j’avais! Alors que nous approchions de l’extrémité de la pointe, nous sommes tombés sur une baleine à bosse récemment morte sur la plage. Plusieurs pygargues se sont envolés et se sont perchés sur le bois flotté à proximité, mais les goélands étaient moins pressés de quitter les lieux: nous avons vu un Goéland bourgmestre parmi des Goélands à ailes grises plus nombreux.

Des Goélands à ailes grises se repaissent sur la carcasse d’un Rorqual à bosse. Photo: Yousif Attia
Un Goéland bourgmestre de première année en compagnie de Goélands à ailes grises. Photo: Yousif Attia
Des Pygargues à tête blanche font le guet à l’extrémité de la pointe Rose. Photo: Yousif Attia

C’est quand nous avons déployé nos longues-vues près de l’eau qu’a commencé le véritable feu de l’action. Nous nous sommes abrités du fort vent qui soufflait du sud-est derrière des troncs d’arbres à la dérive. Il n’a pas fallu longtemps pour que des groupes de dizaines, puis de centaines, et enfin de milliers de Guillemots marmettes et de Guillemots à cou blanc passent devant nos yeux. Il se trouvait même un Guillemot de Brünnich – une espèce beaucoup moins abondante sur la côte ouest – dans une des troupes. Une autre observation digne de mention: une femelle eider (soit à duvet, soit à tête grise). Nous nous sommes empressés de profiter du temps qui nous était imparti avant que Thor ne donne le signal. La marée montait et nous devions partir! Le chemin du retour a été ponctué par l’observation de petites mais régulières bandes de Bécasseaux sanderlings sur la plage. Autant dire que ce fut un RON extrême dont je me souviendrai toujours.

L’équipe du RON de la pointe Rose en 2024 (gauche à droite: Yousif Attia, Ben Reindl-Heit, Margo Hearne, Tony Smith, Jonas Prevost, Elijah Morigeau). Photo: Yousif Attia
Une volée de Guillemots à cou blanc. Photo: Yousif Attia

Le cercle de recensement de Tlell

Par rapport à celui de la pointe Rose, le recensement de Tlell était moins exigeant sur le plan logistique. Nous avons amorcé la journée autour d’un délicieux café et de muffins maison au Sitka Studio, propriété de Noel Wotten et Barbara Small, en surplombant la magnifique plaine inondable de la rivière Tlell. Un petit troupeau de trois Grues du Canada, repéré par Noel, et un Labbe parasite au large ont été les points forts, mais sinon, la journée a été caractérisée par de forts coups de vent pouvant atteindre la force d’une tempête, ce qui a rendu le recensement difficile. Margo a persisté mais, pour ma part, j’ai profité de la générosité de Carey Bergman, réviseur eBird, qui m’a gentiment emmené à Skidegate Landing, où j’ai pris le traversier pour Sandspit afin d’attraper mon vol de retour pour Vancouver. Avec les vents qui se levaient, la traversée risquait d’être annulée. C’était un rappel très peu subtil du caractère sournois des conditions météo qui peuvent être extrêmes à Haida Gwaii.
Outre Margo Hearne, toutes ces personnes, membres de la Nation Haida, ont droit à mes sincères háw’aa (remerciements en langue haida) pour leur générosité et leur accueil chaleureux dans leur territoire: Ginny Hudson, Jonas Prevost et Eli Morigeau ainsi que les membres de la Delkatla Sanctuary Society. Et nous nous sommes rappelé les regrettés Peter Hamel et Martin Williams à chaque tournant et à la vue de chaque oiseau.

Où que vous ayez participé au dernier RON, j’espère que vous avez éprouvé pleinement la satisfaction que procure cette tradition vieille de 125 ans. À l’an prochain!

Martin Williams (à gauche) et Peter Hamel à bord du Kwuna lors d’un recensement au bras Skidegate. Photo: Margo Hearne

« La question fondamentale à poser aux personnes soucieuses de l’environnement est la suivante: Quelle est votre relation personnelle avec la nature? »

Peter Hamel

(1940 - 2024)

Yousif prend la parole au centre de la nature de la Delkatla Sanctuary Society à Masset, Haida Gwaii. Photo: Margo Hearne
 

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